Portrait présumé de Michel de Montaigne, auteur anonyme, 1578.
L'exigence de vérité (par opposition à l'opinion, qui n'est que vraisemblable) est - nous l'avons vu avec le dialogue socratique - la condition même du dialogue, et qui le distingue du débat.
Qu'en est-il de l'exigence de vérité, entendue cette fois comme sincérité dans les échanges ?
Pour Montaigne, le mensonge est un vice qui porte atteinte à la nature humaine. Puisque nous n'accédons pas aux pensées des autres, la confiance repose sur un langage de vérité. L'exigence de sincérité seule permet de garantir la pérennité des relations entre les hommes.
Parce que rien ne permet de vérifier que les autres ne mentent pas, le langage est à la fois un lien qui nous unit et qui comprend le risque d'une trahison brisant les relations de confiance entre les hommes.
Extrait :
En vérité, mentir est un vice odieux. N'est-ce pas la parole qui fait que nous sommes des hommes, au lieu d'être des animaux ; et n'est-ce pas elle qui nous met en relations les uns avec les autres ? Si nous nous faisions une juste idée de l'horreur que doit nous inspirer le mensonge et de l'importance qu'il peut avoir, nous réclamerions contre lui le supplice du feu, qu'on applique pour d'autres crimes qui le justifient moins. — M'est avis que d'ordinaire on s'occupe de châtier très mal à propos les enfants, pour des fautes dont ils ne se rendent pas compte, ou on leur adresse des reproches pour des actes inconsidérés, dont ils ne gardent aucune impression et sont sans conséquences; tandis que la menterie, cette altération de la vérité dans les choses les plus insignifiantes, et, ce qui est un peu moins grave, l'entêtement, sont, ce me semble, à combattre chez eux avec le plus grand soin, pour en arrêter les débuts et les progrès. Ces défauts croissent avec eux; et il est vraiment étonnant combien, quand ils sont passés à l'état d'habitude, il devient impossible de les leur faire perdre; c'est ce qui fait que nous voyons des hommes, honnêtes à tous autres égards, s'y abandonner et en être esclave. J'ai un tailleur qui est un bon garçon; jamais je ne lui ai entendu dire la vérité, pas même quand elle pouvait lui être utile. Si, comme la vérité, le mensonge n'avait qu'une face, je m'en accommoderais encore; nous en serions quittes pour tenir comme certain le contraire de ce que nous dirait un menteur; mais il y a cent mille manières d'exprimer le contraire de la vérité et le champ d'action du mensonge est sans limites. […] Combien, pour vivre en société, la compagnie de qui garde le silence n'est-elle pas préférable à celle de qui la langue est menteuse !
Michel de MONTAIGNE, Essais, I, 9, Librairie Firmin-Didot et Cie éditeurs, Paris, 1907.
Questions :
1. Qu'est-ce qu'un mensonge ?
2. Pour quelles raisons, selon Montaigne, le mensonge est le plus grave des vices ?
3. Pourquoi demande-t-il de revoir l'échelle des sanctions à l'encontre des enfants ?
4. Pourquoi est-il très difficile de ne jamais mentir ?
5. Pensez-vous que mentir puisse devenir une habitude dont on ne peut se défaire ?
6. Comment ce vice affecte-t-il nos relations avec les autres ?
7. Procédant par comparaison, la fin de cet extrait va jusqu'à affirmer que "pour vivre en société, la compagnie de qui garde le silence [est] préférable à celle de qui la langue est menteuse" : pourquoi ne rien partager est-il préférable au fait de partager des mensonges ?
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